Les années ont passé, leurs épouses leur ont survécu. Les anciennes premières dames d’Afrique ont dû apprendre à vivre loin des projecteurs, avec un nom souvent lourd à porter.
Quand elle a su que nous souhaitions la rencontrer, Andrée Kourouma Touré, 85 ans, a rappelé du portable de sa gouvernante. Puis un jeu de piste s’est engagé dans les rues de Rabat. Sur ses indications, un taxi nous a d’abord conduits dans le très chic quartier des ambassades, puis au centre commercial Soussi, d’où nous avons fait le reste du chemin à pied. Méfiantes, les anciennes premières dames ne se laissent pas facilement approcher. Grande (au moins 1,80 m), le geste majestueux, l’épouse du premier président guinéen se présente comme « une veuve qui vit simplement auprès de ses enfants et petits-enfants >>, essentiellement à Conakry, même si elle effectue souvent de longs séjours au Maroc pour des raisons de santé. Ici, chez sa fille, Aminata Touré, une femme d’affaires bien introduite dans les milieux.
A Conakry, elle entretient la mémoire d’Ahmed Sékou Touré, mort en 1984. Elle s’est créé un coin musée, où sont exposées les photos du défunt avec presque tous les grands hommes de l’époque, dont le général de Gaulle. << L’Histoire, dit-elle, a été réécrite et les faits déformés après la mort de mon mari. >>Les Guinéens lui vouent un profond respect, qu’elle croit devoir à Sékou Touré. Elle décrit avec force détails ses sorties au marché de Conakry et les séances de photos avec les vendeuses. Elle entretient des relations correctes avec les autorités actuelles, mais ne se fait guère d’illusions: elles non plus ne lui restitueront pas le peu de biens laissés par son mari. Une ombre furtive lui traverse le visage et elle repasse, sans doute pour la énième fois, le film des événements.
Son mari tombe malade un vendredi. Quelques jours plus tard, il meurt, et sa famille est arrêtée. Andrée Kourouma Touré fera quatre ans de prison pour crimes contre l’humanité. Aujourd’hui, elle déclare vivre d’une pension dérisoire, accordée en 2007. « Mais qu’importe. Sékou Touré n’accordait aucune importance au matériel. Cela m’a aidée. » Andrée Kourouma Touré devient fleur bleue à l’évocation de son union avec l’ancien président guinéen. Elle se rappelle s’être mariée le 18 juin 1953, le même jour que Coretta Scott et Martin
Luther King. Elle rappelle s’être mariée le 18 juin 1953, le même jour que Coretta Scott et Martin Luther King, et affirme entendre encore la voix de son mari, hilare: << Nous avons répondu à l’appel du 18 juin ! »
Elle aime aussi à évoquer ses relations avec deux autres ex-premières dames, Mariem Ould Daddah et Germaine Ahidjo, qu’elle espère bien recevoir un jour à Conakry.Amies du vivant de leurs conjoints, ces deux dernières ont conservé des liens très forts. Réconciliée tant avec le gouvernement (elle dispose d’un bureau à la présidence) qu’avec le peuple mauritanien, Mariem a obtenu la réhabilitation de la mémoire de son époux, le président Moktar Ould Daddah, décédé en 2003, deux ans seulement après son retour de vingt-trois années d’exil.